Aide publique au développement "réelle"

De Coredem
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Définition

Le concept d’Aide publique au développement (APD) d’un pays est défini par le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE, qui fournit également des directives sur les dépenses pouvant être comptabilisées en tant qu’APD. Chaque année, les Etats membres du CAD effectuent une déclaration de leurs dépenses d’APD au CAD, qui les rend ensuite publiques.

L’APD « réelle » recense, au sein de cette APD « officielle », celles qui contribuent réellement au financement du développement. L’APD « réelle » exclut 90% des allègements de dettes et la totalité des dépenses « artificielles » suivantes : écolage, « accueil » des réfugiés en France, dépenses allouées aux Territoires d’outre mer.

Origine du concept

Le concept d’APD « réelle » a été développé par Coordination SUD dans son rapport L’APD française et la politique de coopération au développement : état des lieux, analyses et propositions, publié fin 20051. Il fournit une lecture critique de l’accroissement de l’aide publique au développement constaté depuis le début des années 2000.

Depuis 2006, les homologues de Coordination SUD dans les 26 autres pays membres de l’Union européenne évaluent également l’aide réelle de leurs gouvernements dans le cadre de la Confédération européenne des ONG d’urgence et de développement (Concord)2.

Qu’entend-on par « aide publique au développement » ?

Comme tout agrégat statistique, l’APD est une construction élaborée par certains acteurs, dans ce cas précis, les pays donateurs eux-mêmes, réunis au sein d’un comité spécifique de l’OCDE, le CAD.

La comptabilisation de l’APD française obéit aux lignes directrices établies par le CAD, qui donnent une définition de l’aide publique au développement ainsi que des dépenses pouvant être notifiées comme APD. Ces directives indiquent que les ressources comptabilisées « ont pour but essentiel de favoriser le développement économique et l’amélioration du niveau de vie des pays bénéficiaires de l’aide »3. Cet indicateur doit par conséquent être interrogé au regard de la réalité qu’il est censé traduire, en l’occurrence, la contribution financière réelle d’un pays à la coopération au développement. Or, certaines dépenses comptabilisables dans l’APD n’ont qu’un rapport très éloigné avec le financement du développement. Par ailleurs, ces directives présentent parfois des imprécisions pouvant laisser libre cours à l’interprétation de la part de l’Etat donateur, qui transmet lui-même ses données au CAD. Le secrétariat du CAD n’a aucun moyen de contrôler la réalité de certaines dépenses déclarées.

De surcroît, les pays du CAD ont récemment intégré dans les dépenses notifiables en APD certaines dépenses liées à l’environnement ou à la sécurité (mécanismes de développement propre du protocole de Kyoto, dépenses de sécurité et de maintien de la paix,…). La tendance constante à l’élargissement du périmètre de l’APD pourrait donc mettre en péril le continuum statistique, lequel devrait idéalement permettre d’évaluer l’évolution réelle de la contribution d’un pays au financement du développement.

Application du concept : l’aide « réelle » de la France

L’évolution de l’APD française depuis 2002 est marquée par un paradoxe. Conformément aux engagements pris dès 2002, son niveau est en progression. La France se classe en tête des pays du G8 pour la part de sa richesse nationale consacrée à l’APD et fait partie des principaux contributeurs à l’APD à l’échelle mondiale. En 2008, avec 7,6 milliards d’euros, elle est le quatrième contributeur au sein du CAD de l’OCDE en montants nets d’APD et le 13ème pour la part du revenu national brut (RNB) qu’elle a consacrée à l’APD (soit 0,39%). Même si elle a fortement chuté en 2007 (-16%), l’aide française a officiellement augmenté de plus de 60% depuis 2002.

Pourtant, cette évolution globale est à relativiser fortement en termes de contribution supplémentaire de la France au financement du développement. Une large part de cette progression est le produit d’un gonflement statistique qui ne se traduit ni par de nouvelles dépenses pour l’Etat, ni par des ressources supplémentaires pour le financement du développement. Le redressement du volume de l’APD française depuis 2002 s’explique en grande partie par la forte augmentation des annulations de dettes et de l’APD « artificielle ».

Une augmentation dopée par les allégements de dettes

L’annulation de la dette des pays les plus pauvres est une condition sine qua non à leur développement et une revendication portée de longue date par les ONG. Le problème se situe au niveau des modalités de leur comptabilisation en APD, établies par les lignes directrices du CAD. Celles-ci conduisent à une nette surévaluation du transfert effectif de ressources dégagées pour le financement du développement.

L’évolution de l’APD française depuis 2002 s’explique en effet essentiellement par la comptabilisation des annulations de dettes. La France est l’un des principaux contributeurs de l’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE). Ainsi, après avoir largement contribué à la hausse de l’APD française jusqu’en 2006, la chute de l’APD en 2007 s’expliquait essentiellement par la baisse des allègements de dettes (-16%), qui ont encore diminué en 2008 pour atteindre, selon le CAD, 623 millions d’euros. Malgré cette baisse, sur la période 2001 – 2007, les allègements de dettes représentent en moyenne 27% de l’APD officielle de la France.

(en millions d’euros) 2 001 2 002 2 003 2 004 2 005 2 006 2 007 2008 APD officielle 4 688 5 821 6 420 6 820 8 123 8 445 7 220 7 596 Allègements de dettes 516 1 438 2 599 1 310 2 814 2 934 1 085 623 en % de l'APD officielle 11% 25% 40% 19% 35% 35% 15% 8%

Ces annulations de dettes sont, pour une grande partie, négociées dans le cadre du Club de Paris. La France est en effet le premier contributeur à l’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE), dans le cadre de laquelle des montants très importants ont été annulés entre 2002 et 2004. Cependant, dans bien des cas, ces annulations portent sur des créances impayables, qui n’auraient jamais pu être remboursées. Ces annulations ont, par conséquent, un impact très limité pour les pays « bénéficiaires ». Elles relèvent plus d’un jeu d’écriture comptable que d’une véritable contribution au financement du développement.

Par ailleurs, une part importante des dettes, aujourd’hui annulées, a été générée par une politique active de soutien aux exportations françaises, via la garantie publique aux exportations gérée par la COFACE. Ce type de dettes résulte d’une politique publique de promotion des exportations françaises, dont la logique est clairement distincte du développement. Rien ne justifie leur comptabilisation en APD au moment de leur annulation.

Depuis 2005, une grande part des allègements de dettes est constituée par l’annulation de créances à l’égard du Nigéria et de l’Irak, également traitée en Club de Paris. En 2006, les allègements de dettes pour le Nigéria ont représenté environ 1,6 milliard d’euros et 625 millions ont été comptabilisés au titre de l’annulation de la dette irakienne. En 2007, 550 millions ont été comptabilisés en APD au titre de l’allègement de dettes de l’Irak. Or elles concernent quasi exclusivement des créances garanties par la Coface, indûment comptabilisées en APD. En effet, l’opacité qui prévaut sur ces annulations ne permet pas de savoir à quels types de créances elles correspondent. Notamment, le doute subsiste sur la comptabilisation d’annulations de créances concernant l’acquisition de bien à usage dual (civil et militaire). Or l’annulation de créances ayant permis l’achat de biens à usage militaire ne peut pas être comptabilisée en APD.

Dans son estimation de l’APD « réelle », Coordination SUD déduit 90% du montant total des allègements de dettes de l’APD officielle. Elle se base sur la recommandation d’une étude réalisée par Daniel Cohen sur les annulations de dettes des PPTE5. Estimant que la grande majorité des allègements de dettes constituent un effacement comptable de créances impayables, il recommande en effet que seuls 10% de ces annulations soient comptabilisées en APD, les 90% restants devant être inscrits en pertes sur allègements.

Une APD hors allégements de dettes gonflée par les artifices comptables

L’évolution de la composition de l’APD française hors allégements de dettes n’est pas non plus sans poser de problèmes. Elle a été marquée, ces dernières années, par le gonflement d’agrégats statistiques, évalués ex post, qui n’apportent pas de ressources nouvelles pour le développement, au premier rang desquels figurent « l’écolage » et « l’accueil des réfugiés ».

Les dépenses d’écolage, c’est-à-dire la comptabilisation ex post du coût des étudiants provenant des pays en développement dans l’enseignement supérieur français, ont connu une croissance considérable dans l’APD française depuis les années quatre-vingt dix, avec une nette accélération à partir de 2000. Ces dépenses représentent, en 2007, 14% de l’APD hors allègements de dettes, avec 878 millions d’euros. Entre 2001 et 2007, le montant d’écolage déclaré en APD a crû de 95%.

La comptabilisation de ces dépenses est cependant largement contestable, car elle ne respecte pas les directives du CAD et ce, à plus d’un titre. La présence des étudiants issus de pays en développement ne relève en aucun cas d’une « politique délibérée de coopération au développement »6, telle que le préconisent les directives, mais d’une politique de rayonnement et d’influence culturelle qui obéit à des objectifs très éloignés de ceux du développement. Ensuite, il semblerait que la France comptabilise l’ensemble des étudiants présents, qu’ils retournent ou non dans leur pays suite à leurs études. Par ailleurs, il semblerait que la France comptabilise également des étudiants de nationalité étrangère vivant en France et ayant suivi leur cursus secondaire en France, lorsque ceux-ci poursuivent des études supérieures. Sur ces trois aspects, la France contrevient aux directives établies par le CAD. Celui-ci le dénonce d’ailleurs dans sa revue par les pairs de la coopération française au développement de 20087, dans laquelle il remet en cause la déclaration par la France, d’une part, des dépenses d’écolage et, d’autre part, des dépenses liées à l’« accueil »des réfugiés en France.

En très forte augmentation depuis 2001, les dépenses liées à l’« accueil » des réfugiés comptabilisées dans l’APD française sont en baisse depuis 2006. La comptabilisation de ces dépenses est cependant loin de faire consensus au sein du CAD. Le Royaume-Uni, par exemple, refuse de comptabiliser ces dépenses, considérant qu’elles ne contribuent pas à l’APD. En 2007, elles représentaient 275 millions d’euros. Entre 2001 et 2005, ces dépenses ont augmenté de 108% pour atteindre 470 millions d’euros. Elles ont depuis diminué de 40% (entre 2005 et 2007). D’après H. Emmanuelli, « […] les dépenses d’accueil des réfugiés comptabilisées relèvent davantage de la gestion des demandeurs d’asile sur le sol français que d’une aide proprement dite. » 8 Toujours selon lui, en 2008, sont comptabilisées dans l’APD française, les dépenses d’hébergement des réfugiés (centre d’accueil pour les demandeurs d’asile, hébergement d’urgence), mais aussi les dépenses d’aide au retour, les crédits de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, des centres provisoires d’hébergement des réfugiés et d’autres dépenses d’intervention pour l’accompagnement social des réfugiés. Toujours selon M. Emmanuelli, ces dernières dépenses pourraient ne plus être comptabilisées en APD à partir de l’année 2009.

Par ailleurs, la France comptabilise toujours dans son APD certaines dépenses à destination de deux Territoires d’Outre mer (TOM), Mayotte –qui fait partie des dix principaux bénéficiaires de l’APD française et deviendra, en 2011, le 101ème département français- et Wallis et Futuna. Entre 2005 et 2006, les dépenses allouées aux TOM ont augmenté de 28% sans qu’une explication détaillée ne soit fournie. M. Emmanuelli souligne d’ailleurs dans son rapport sur le projet de loi de finances 2008 l’« élargissement de la comptabilisation de l’aide outre mer », qui s’expliquerait, selon le gouvernement, par la « méthodologie de requête des données » 9. En 2007, ces dépenses atteignaient 345 millions d’euros. Elles ont augmenté de 41% entre 2001 et 2007.

Une APD « réelle » qui croît beaucoup moins vite que l’APD officielle :

Lorsque l’on épure les statistiques des principaux montants d’APD « artificielle » (perte sur allégements de dettes, écolage, « accueil des réfugiés » et dépenses pour les TOM), le niveau de la contribution de la France au financement du développement se réduit considérablement. En 2007, alors que l’APD officielle atteint 7,2 milliards d’euros et représente 0,39% du RNB, l’APD « réelle » s’élève à 4,7 milliards d’euros et ne représente plus que 0,25% du RNB français.


(montants en millions d'euros) 2 001 2 002 2 003 2 004 2 005 2 006 2 007

APD officielle 4 688 5 821 6 420 6 820 8 123 8 446 7 220 APD officielle en % du RNB 0,31% 0,37% 0,40% 0,41% 0,475% 0,47% 0,38%

Perte sur allègements de dette 464 1 294 2 339 1 310 2 533 2 641 976 Coût imputé aux étudiants étrangers 451 547 640 736 767 898 879 Aide aux réfugiés dans le pays donneur 227 261 394 438 470 344 275 Aide allouée aux TOM 245 187 196 222 273 350 345 Montant de l'APD artificielle 1 387 2 289 3 569 2 706 4 043 4 233 2 476

APD réelle 3 301 3 532 2 851 4 114 4 080 4 213 4 744

APD réelle en % du RNB 0,22% 0,23% 0,18% 0,25% 0,24% 0,23% 0,25% Part de l'APD réelle dans l'APD officielle 70,4% 60,7% 44,4% 60,3% 50,2% 49,9% 65,7% RNB en milliards d'euros 1 497 1 548 1 595 1 659 1 710 1 806 1 902 Sources : CAD, base de données en lignes.

L’APD « réelle » de la France progresse beaucoup moins vite que l’APD officielle et n’en représente que 60% en moyenne sur la période 2001 - 2007. Sur la période 2006 – 2008, l’APD réelle de la France connaîtrait cependant une augmentation sensible. Celle-ci s’explique en partie par une politique de recours accru aux prêts comptabilisables en APD, octroyés principalement aux pays émergents et à revenu intermédiaire, à des conditions proches du marché. Des prêts qui relèvent cependant d’une coopération économique entre la France et ces pays, plutôt que d’une véritable politique de coopération au développement.

Notes et références de l’article

1 Coordination SUD, l’APD française et la politique de coopération au développement : Etat des lieux, analyses et propositions, publié en novembre 2005 et actualisé en février 2006. Disponible sur : www.coordinationsud.org. Voir le chapitre I : Les faux semblants de l’APD française, p. 17 à 75.

2 Un rapport est publié annuellement, qui est disponible sur le site de Concord : www.concordeurope.org

3 Les directives du CAD précisent « On entend par “aide publique au développement” tous les apports de ressources qui sont fournis aux pays et territoires sur la Liste des bénéficiaires d’APD, ou à des institutions multilatérales, et qui répondent aux critères suivants : i. Émaner d'organismes publics, y compris les états et les collectivités locales, ou d'organismes agissant pour le compte d'organismes publics. ii. Sachant que chaque opération doit en outre a) Avoir pour but essentiel de favoriser le développement économique et l'amélioration du niveau de vie des pays en développement. b) Être assortie de conditions favorables et comporter un élément de libéralité au moins égal à 25 pour cent (sur la base d'un taux d'actualisation de 10 pour cent). [Ce calcul sert à déterminer si un prêt est concessionnel ou non. Si le prêt satisfait les critères de l'APD, le montant total est notifié comme APD].».

4 Il s’agit des bailleurs de fonds « traditionnels », les bailleurs émergents comme la Chine ou l’Inde n’étant pas membres du CAD. De même, les nouveaux Etats membres de l’Union européenne, pour lesquels la coopération au développement est une politique souvent récente, ne sont pas encore membres du CAD.

5 Cohen Daniel, Centre de développement de l’OCDE, Technical paper n°166, The HIPC initiative : true and false promises, octobre 2000.

6 CAD, Directives pour l’établissement des rapports statistiques au CAD.

7 CAD / OCDE, Examen du CAD par les pairs : France, 2008, p. 48 : « La France inscrit dans son APD un certain nombre de dépenses qui ne se traduisent pas par des flux d’aide vers les pays en développement et qui, représentant des montants importants, peuvent pour une part être questionnées au regard de leur éligibilité à l’APD »

8 Rapport de M. Henri Emmanuelli pour le projet de loi de finances pour 2009, p. 15. Disponible sur le site de l’assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/13/budget/plf2009/b1198-a5.asp

9 Rapport de M. Henri Emmanuelli pour le projet de loi de finances pour 2008, p. 31.


Voir aussi

Liens et documents externes :

  • Comité d’aide au développement de l’OCDE :

http://www.oecd.org/department/0,3355,fr_2649_33721_1_1_1_1_1,00.html

  • Concord : www.concord.org
  • Coordination SUD : www.coordinationsud.org

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