Le dialogue des cultures

De Coredem
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L’interculturel concerne les relations entre des cultures. La démarche interculturelle, en dépassant le cadre des revendications culturelles antagonistes au sein d’un même espace, doit permettre la rencontre et le dépassement des conflits.



Le dialogue

Le dialogue : penser à plusieurs ? – Le dialogue - de dia, à travers et de logos, la parole – est une forme de communication entre plusieurs personnes. Il vise bien souvent à renforcer la connaissance mutuelle, ou à produire une position commune. La disputatio, chère aux intellectuels de la Renaissance, était à la fois une méthode d’enseignement et une méthode de recherche – l’échange des points de vue et des savoirs aboutissant parfois sur une nouvelle donnée. Le dialogue ne saurait se confondre avec d’autres formes de communication moins équilibrées – comme le monologue – ni même avec des formes de communication qui peuvent donner l’illusion de l’échange – comme l’art discursif, qui vise essentiellement à faire triompher un point de vue. Le dialogue suppose à la fois qu’il y ait au minimum un « émetteur » et un « récepteur » et que ceux-ci soient engagés dans un échange de savoirs équilibré et organisé en phases d’écoute et de prise de parole – sans que cette organisation, trop formelle, prenne le pas sur le fond.  La notion de dialogue est bien souvent chargée positivement ; elle induit un équilibre – sinon une égalité – des échanges (par la succession de phases d’écoute et de prises de parole) ; une participation active des parties prenantes ; un respect mutuel ; une réelle liberté d’expression. C’est cette version là du dialogue que nous retiendrons dans notre expression « dialogue des cultures ».

Martin Buber, né en 1878 et mort en 1965, est un des philosophes qui a le plus travaillé sur la notion de dialogue. Il en fait un élément prédominant de sa philosophie (en particulier dans Je et Tu, Paris, éditions Aubier-Montaigne, 1981) marquée par la pédagogie et l’éducation à la paix. Il voit le dialogue plutôt comme un moyen d'entrer en communication – plus même qu’une tentative de rechercher une conclusion ou d'exprimer des points de vue. Pour lui, dialoguer c'est réellement « penser à deux ». Pour Buber, « au commencement est la relation ». Il part du principe que l’être humain est par essence un homo dialogus, que la personne est incapable de se réaliser sans communier avec l’humanité, avec la création et avec le Créateur. Le dialogue repose sur la réciprocité et la responsabilité[1].

François Jullien, philosophe français et sinologue de renom, explique longuement dans ses ouvrages sa compréhension du concept de dialogue. Dans «De l'universel, de l'uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures (Paris, Éditions Fayard, 2008), il insiste sur la composition étymologique du terme, pour y voir un réel mode d’emploi. Ainsi, page 248, il précise : « Entre, d’une part, le consensus mou du dialogue suspecté toujours d’être un alibi ou d’enfouir plus insidieusement les rapports de forces sous son apparente ouverture et, de l’autre, le clash annoncé – constaté – ainsi que l’appel au repli identitaire de «l’Occident », quelle autre voie qui ne verse d’aucun côté : qui ne soit ni utopique, ni défensive, ne de compromis ? Ou « dia-logue » n’est-il pas plutôt à reprendre et repenser (…) ? En faisant entendre d’une part, dans le dia du dia-logue, la distance de l’écart, entre cultures nécessairement plurielles, maintenant en tension ce qui est séparé : un dialogue, nous ont appris les Grecs, est même d’autant plus rigoureux et fécond qu’il met aux prises des thèses antagonistes ; et, dans logos, d’autre part, le fait que toutes les cultures entretiennent entre elles une communicabilité de principe et que tout du culturel, est intelligible, sans perte et sans résidu. (…) Non donc que chacun serait porté par une finalité d’entente, ou que la logique du dialogue révélerait un universel préétabli, mais parce que tout dialogue est une structure efficiente – opérante – qui oblige de facto à réélaborer ses propres conceptions, pour entrer en communication, et donc aussi à se réfléchir ».[2]

La culture

Les Cultures, ce qui fait l’homme ? – La culture – dans une définition large – peut recouvrir l’ensemble des caractéristiques d’une société ou d’un groupe social donné, que ce soit dans les domaines matériels ou spirituels. En ce sens, elle concerne tout aussi bien les expressions artistiques que les modes de vie, les systèmes de valeur, les traditions, etc. La notion recouvre et décrit donc des activités très diverses, parfois assez lointaines les unes des autres (culture artistique et culture d’entreprise, par exemple). En ce sens, on comprend bien que la notion même de culture est « au coeur d'un enjeu humain essentiel : celui de dire ce qu'est l'espèce (Homo sapiens sapiens) à travers ce qu'il fait » (Collectif, fiche « Culture » de Wikipédia, cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Culture).

Si Edgar Morin voit dans la culture « ce qui relie les savoirs et les féconde » le sociologue québécois Guy Rocher, reprend et modernise une définition sociologique communément admise. Selon lui, il s’agit donc d’un « ensemble lié de manières de penser, de sentir et d'agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent, d'une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte."[3]

L'utilité du dialogue des cultures

A quoi le dialogue des cultures peut-il donc bien servir ? – Une fois le dialogue défini, une fois précisée notre conception du terme « cultures », il nous faut nous interroger sur l’utilité que peut avoir le dialogue des cultures. S’il semble largement admis que la rencontre et le dialogue entre différentes cultures est – en soi – une valeur positive, mais sur quoi cela repose-t-il exactement ? Pourquoi, finalement, chercher à connaître, à entrer en contact avec une culture qui n’est pas la sienne ?

  • La toute première utilité du dialogue des cultures, c’est sans doute de pouvoir satisfaire notre attrait pour l’étrangeté, notre attirance pour les différences, notre curiosité innée. Bref, il s’agit bien là de laisser s’exprimer notre goût pour l’exotisme. Cette motivation n’est condamnable que si elle est exclusive, stérile uniquement si elle ne vise rien d’autre que sa propre satisfaction.
    L'exotisme trouve son origine dans le grec tardif (exô- « au dehors », exôtikos « étranger, extérieur »). Il désigne habituellement un goût pour l'étranger. Ce phénomène se rencontre souvent dans l’histoire des grandes civilisations, et particulièrement dans leur phase d’expansion. « La curiosité de la société romaine pour les religions en marge de l'Empire, ou les temps d'ouverture de la Chine à la culture européenne pourraient relever de l'exotisme. Cependant, cette attitude s'exprime avec plus d'amplitude et de variété en Occident, suite à la mondialisation : des grandes découvertes au commerce globalisé actuel, en passant par le colonialisme. Avec Claude Lévi-Strauss on ajoutera un critère essentiel, l'occident est désormais une culture anthropologique, elle ne confond plus l'étranger avec l'imitation qu'elle en fait, elle sait ce qu'exotisme veut dire. Une création d'inspiration étrangère cesse d'être exotique lorsqu'elle inspire en retour cet étranger, comme l'impressionnisme au Japon ou Picasso en Afrique » - fiche Wikipédia sur la notion d’exotisme.

  • La découverte de l’autre, au-delà de l’exotisme, nous est utile pour son « effet miroir ». En effet, l’autre nous est indispensable, nous permet de prendre connaissance de nous-mêmes, de nous connaître mieux, de nous définir. Sans altérité, bien entendu, point d’identité.
    « C’est par la différenciation d’avec l’autre que l’enfant commence à se différencier de sa mère et de l’environnement, commence à s’appréhender lui-même comme personne. Tout dialogue interculturel procède d’un double mouvement de reconnaissance de l’altérité et de découverte de l’universel, de ce qui est commun au genre humain. Il est impossible en vivant une expérience unique de saisir ce qu’elle a de spécifique et de ce qu’elle a d’universel. Seul l’échange va permettre progressivement de découvrir des constances culturelles, reflet à la fois de l’unité du genre humain et du fait que toutes les sociétés ont pour leur survie et leur développement à faire face à des défis communs » - Pierre Calame, Le dialogue transculturel en pratique : exemple du forum China – Europa,[4]
    « (…) tout dialogue est une structure efficiente – opérante – qui oblige de facto à réélaborer ses propres conceptions, pour entrer en communication, et donc aussi à se réfléchir » - François JULLIEN, De l'universel, de l'uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures[5]

  • Par ailleurs, l’importance de la diversité des conceptions, la diversité des options s’exprimant pour une question donnée est une richesse en soi. Cette multiplicité nous offre un éventail de compréhensions et de solutions plus large ; en soit, le dialogue des cultures nous ouvre donc « la palette des possibles », que ce soit pour analyser un contexte, pour définir un défi, pour y répondre.

  • Enfin, le dialogue des cultures peut être motivé par une stricte nécessité. En dehors de toute curiosité intellectuelle, de découverte d’autres possibilités, le dialogue des cultures est utile parce qu’il est indispensable pour que nous puissions gérer le monde en commun. Dans le contexte de l’intensification des échanges internationaux, seules des actions communes et coordonnées sont adaptées aux défis à dimension planétaire qui marquent le début de ce XXIe siècle. L’interdépendance rend donc obligatoire le dialogue entre les cultures.
    « Mais au sein de ce type général qui fonde les relations entre les sociétés, il faut de nouveau faire une distinction entre relations ponctuelles, telles que les relations commerciales qui de tout temps ont relié les sociétés et celles qui découlent de la nécessité de gérer une situation en commun. Relations d’échanges de marchandises préexistantes à la rencontre ou construction d’une œuvre commune ensemble – non préexistante à la rencontre ». Pierre Calame, Le dialogue transculturel en pratique


Notes de l'article

  1. Martin Buber, in « Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée », Paris, UNESCO, Bureau international d’éducation, vol. XXIII, n1-2, 1993, p. 135-147 [téléchargement du texte]
  2. François Julliard, www.editions-fayard.fr
  3. Introduction à la sociologie générale, Guy Rocher, éditions Hurtubise, 3e édition, 1995, 685 pp
  4. Pierre Calame, Le dialogue transculturel en pratique : exemple du forum China – Europa, conférence prononcée le samedi 27 septembre 2008 lors du colloque international à l’occasion du dixième anniversaire de la revue dialogue transculturel (télécharger le document).
  5. François JULLIEN, De l'universel, de l'uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures (Paris, Éditions Fayard, 2008) p

Références bibliographiques

  • Michel Sauquet, Martin Vielajus, L'Intelligence de l'autre, Prendre en compte les différences culturelles dans un monde à gérer en commun, éditions Charles Léopold Mayer, 2007, Consultez l'ouvrage
  • Se former à l’interculturel, Expériences et propositions, éditions Charles Léopold Mayer, 2000

Voir aussi

Liens et documents externes

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