Démocratie, technocratie, démocratie technique, gouvernance

De Coredem
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Définitions

  • L'une des singularités du régime politique appelé démocratie, c'est de concevoir l'organisation et l'exercice du pouvoir politique dans la société comme étant le produit d'une volonté et d'un contrôle émanant du peuple. La démocratie (du grec demos, le peuple, et kratos, le pouvoir) est étymologiquement le "pouvoir du peuple" opposé traditionnellement à l'aristocratie, le "pouvoir des meilleurs" ou à la monarchie, le "pouvoir d'un seul". La démocratie suppose dans l'idéal que la participation aux affaires publiques des individus composant le corps social n'est soumise à aucun critère autre que l'égalité politique stricte, sur le modèle "un homme = une voix". Mais cet idéal de participation des citoyens souvent assimilé à la démocratie directe est en général limité par certains critères jugés plus ou moins légitimes (compétence, sagesse, réputation, hérédité, fortune, …). Ces critères sont au principe de la forme concurrente appelée démocratie indirecte qui repose quant à elle sur le modèle de la représentation. Il est d'ailleurs incontestable que la plupart des exemples de démocratie dans l'histoire relèvent plus de la démocratie représentative (le peuple élit des représentants pour exercer le pouvoir) que de la démocratie participative (le peuple exerce lui-même le pouvoir), laquelle au sens strict "n'a jamais existé et n'existera jamais" (Rousseau). L'avantage de la démocratie représentative est de permettre la sélection au sein du peuple d'une élite éclairée et vertueuse dans l'idéal destinée à gouverner le peuple au nom de l'intérêt général (une "aristocratie démocratique" selon B. Manin). Mais le risque de la représentation est d'aboutir à un mode d'exercice du pouvoir dans lequel les représentants finissent par former une classe à part de plus en plus éloignée de la volonté du peuple. Ce hiatus politique, véritable "fossé" entre le peuple et ses représentants, marque la divergence entre les buts et les intérêts de chacune des parties et constitue un des motifs de frustation et de contestation récurrents de la politique dans une démocratie.
  • Une forme particulière de représentation est la technocratie (du grec tekhne, l'art au sens des "arts et métiers" et kratos, le pouvoir), expression formée par le philosophe Auguste Comte au 19ème siècle qui désigne le pouvoir fondé sur la savoir, et plus particulièrement le pouvoir d'administration et de décision fondé sur l'expertise scientifique et technique. La technocratie représente une forme d'organisation et d'exercice du pouvoir instaurant une délégation à des experts, lesquels sont appelés à remplacer "le gouvernement des hommes par l'administration des choses" (Saint-Simon). Le qualificatif de "technocrate" suggère parfois une vision péjorative des gouvernants et des experts dans laquelle la gestion et la décision sont assumées par une élite supposée intelligente, mais qui se révèle en fait ignorante et arrogante envers le peuple, négligeant ou méprisant ses opinions, ses valeurs et ses problèmes. Il est vrai que dans la vision technocratique, le peuple est souvent perçu comme incompétent et quelque peu vulgaire, qui plus est soucieux de son seul intérêt particulier, à la grande différence des technocrates qui oeuvrent par principe pour l'intérêt général ...
  • Il est compréhensible que le monopole ou du moins la confiscation de la décision participe de ce que Callon et Latour appellent la double délégation : délégation du savoir à des experts et délégation du pouvoir à des représentants. Or, sur un certain nombre de sujets dits "socio-techniques" (sida, ogm, climat, nucléaire, …) d'ordinaire réservés aux experts, il est nécessaire selon eux de réintroduire une participation des citoyens dans le cadre d'une véritable démocratie technique, qui vient s'opposer à la technocratie. Au modèle de la démocratie délégative qui repose sur une délégation de la décision à des experts ou à des représentants, il faut donc opposer selon eux le modèle de la démocratie dialogique qui repose sur le dialogue, la discussion entre experts, représentants et citoyens. Cette participation des experts et des profanes (non-experts) à des processus dits dialogiques ou "hybrides", destinés à produire ensemble les savoirs et les devoirs, se distingue des modes plus classiques de gouvernement.
  • Ces processus sont parfois rattachés à la notion de gouvernance (en anglais, governance), terme très polysémique qui se distingue du gouvernement en ceci qu'il caractérise "les relations entre un ensemble d'institutions et d'acteurs, publics ou privés, plus que l'activité d'un organe centralisant l'autorité exécutive" (Balme). Il est d'usage dans la philosophie de la gouvernance contemporaine de faire une distinction entre d'une part, la phase de structuration de la décision (decision-framing) impliquant des citoyens (ou plus généralement des "porteurs d'enjeux", stakeholders), et d'autre part, la phase d'exécution de la décision (decision-taking) sur la base des recommandations de la phase précédente, qui peut alors être déléguée à des experts ou à des représentants.

Références

Sylvain Lavelle, Science, technologie et éthique, Ellipses, 2006.

Liens utiles

Site du Centre Ethique Technique et Société (CETS), ICAM de Lille